Les Beatles |Est-ce vraiment un phénomène utile ?

 

 

Quand les gentlemen du Stock Exchange font la queue pour aller voir et subir l’envoûtement Beatles, ils se demandent ce qu'ils font. Non pas dans la file d'at-tente mais dans la vie. Il n'y a aucune affaire qui n’ait jamais rapporté en un an 1500 000 livres (soit plus de deux milliards d'anciens francs) avec un capital initial de quatre cent quarante-cinq livres, se décomposant ainsi: trois guitares électriques à cent cinq et une batterie à cent trente chez Rushwor-th's, le tout payé aux condi-tions de la misère: semaine après semaine...

C'est à Liverpool que sont apparus pour la première fois en 1958, en formation, John, Paul, George et Ringo. Alors, ils n'étaient rien. Un prospecteur de talents à bon marché vient à passer à Hambourg où ils honorent un contrat. Ils enregistrent « Love me do ». Brian Ep-stein a 24 ans. Il n'aime que le classique. S'il fait ça, c'est parce que les Beatles sont du coin : « la Caverne » -est à cent cinquante mètres. Quand les Beatles revien-nent à Liverpool, il va les écouter. C'est peut-être nou-veau mais cela lui paraît si beau qu'il dit aux Beatles : « Je vous prends 25 % sur tout ce que vous faites, mais on va rouler en Bentley. »
Et maintenant, il y a la Bentley, sister car du coupé de la reine, et les palaces, les trains de luxe de ville à ville dans la vieille Angleterre, les avions pour le Nouveau Monde. Il y a la télévision (qui leur rapporte six mille livres par trente secondes), il y a huit millions cinq cent mille disques vendus et le fa-natisme des fans du monde entier qui s'exacerbe de jour en jour. Quand les scarabées - Beatles signffle scarabee en anglais - sont en or, ils fe-raient rougir le diable. Et le diable est partout devant les Beatles. C'est le film qu'on leur fait tourner sur eux-mêmes dans un train sans queue ni tête entre Londres et l'Ecosse où ils sont censés revivre leur vie, comme s'ils en avaient déjà une.
A ceux qui leur disaient :
« L'Amérique vous fera un pont d'or, restez-y », ils répliquaient: « Chez nous aussi, à Liverpool, ce n'est pas mal. » C'était une gaffe, mais elle a passé, sans grincement puisque le lendemain, le « New York Herald » titrait : « Les Beatles font faire un premier pas au rapproche-ment anglo-américain. » L'Angleterre leur doit bien d'autres choses. Ainsi, ce million de livres en devises étrangères dont un specia-liste de la Barclay's Bank a écrit : « Il s'agit là, pour le commerce extérieur, d'un fait non négligeable. » Mais la vraie consécration a pour cadre le décor aux nappes damassées du banquet an-nuel de la presse étrangère à Londres. A l'heure des ques-tions, un journaliste accré-dité demande au prince Phi-lip, hôte d'honneur, ce qu'il pense de la Beatlemania, la folie des Beatles:
- Croyez-vous que ce soit une bonne chose ou qu'elle soit nuisible au mode de vie que font les gens en chantant et en dansant ne me dérange pas. Ceux que je n'accepte pas, ce sont les gens qui se battent ou qui volent. Je pense que ces garçons ai-dent les gens à se distraire, c'est une bonne chose.
La vérité sur les Beatles, ce n'est ni dans l'entourage de la cour, ni à l'Olympia de Paris, ni à New York ou à Miami, pas davantage dans les livres et publications qui pullulent sur leur compte, qu'il faut la rechercher. Le petit monde des Beatles qui a conquis l'empire des fans appartient tout entier à une ville de 1334 442 habitants et vingt kilomètres de rayon, défor-mée pour avoir fait sa crois-sance dans la pauvreté: Liverpool-sur-la-Mersey.
Grand port, silos les plus im-portants d'Europe, coton-nades, métallurgie, produits manufacturés, Liverpool est depuis dix ans, avant toute chose, devenue la patrie du big-beat. Le beat, tous les jeunes d'outre-Manche di-sent que c'est la vie, le batte-ment du maillet sur la peau de la grosse caisse, le bruit qui se transforme en pensée. C'est dans l'un de ses quatre cents clubs, « la Caverne », une vieille cave à vins dans Matthew Street, que, il y plus de cinq ans, les quatre Beatles sont entrés dans
vie publique. « La Caverne » est constituée par trois ran gées de voûtes soutenues par des piliers de briques. C'est aujourd'hui un véri table sanctuaire.
Sur le plan intérieur, il y une conséquence inattendu à ce fanatisme : il n'y a prati quement plus de teddy boy en Angleterre où, depu deux ans, la vente de chaînes de bicyclettes cor respond sensiblement
nombre des bicyclettes. C'e l'effet de la musique et d rythme adoptés comme
principe sacré par es e e au grand coeur. Ce rythm est à la fois très scandé e très lent, épuisant et apai sant comme la manière d danser le twist qui fait loi « la Caverne ».
Cela s'appelle le Scrumpt e c'est traînant comme face
local, traînant et désarmant Aussi désarmant que la ré ponse des Beatles courroucoucés quand on leur demande pourquoi ils chanttent : « To eat, sir » (Pour manger, monsieur.)

 


Extrait de Paris Match 1964